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Pinocchio (live) #2

© Christophe Raynaud de Lage

Conception et mise en scène Alice Laloy, composition sonore Eric Recordier, chorégraphie Cécile Laloy assistée de Claire Hurpeau – Compagnie S’appelle Reviens – Avec les enfants-danseurs du Centre Chorégraphique de Strasbourg et les étudiants de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Colmar – au Théâtre 71 de Malakoff, dans le cadre du Festival Marto.

C’est un singulier projet né d’un long cheminement sur lequel Alice Laloy travaille depuis une huitaine d’années, une recherche. Troublée par le rapport entre l’objet inanimé et le vivant, elle débute par une recherche photographique autour du personnage de Pinocchio qui lui semble le plus approprié à répondre à ses questionnements. Gepetto en effet engendre Pinocchio la marionnette, sous la plume de Carlo Collodi, pantin qui parle, pleure et rit comme un enfant. A partir de ce mythe de Pinocchio, la plasticienne réfléchit à ce moment de bascule entre mobilité et immobilité. Le programme Hors- les-murs de l’Institut Français lui permet de se poser un temps en Mongolie, en 2017 et d’observer la contorsion, un art ancestral du pays. Elle travaille sur l’articulation et la désarticulation des corps.

Après l’exposition de son travail s’ensuit une première version d’un Pinocchio scénique, Pinocchio(s) qu’elle travaille entre 2017 et 2019, Alice Laloy s’est en effet formée aux arts de la scène à l’école du TNS de Strasbourg, en section scénographie et costumes. Le projet évolue en Pinocchio(live)#1 qu’elle créée pour l’ouverture de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette à Paris, en mai 2019, performance pour vingt-six interprètes amateurs – treize enfants danseurs et treize jeunes adultes acteurs-manipulateurs. Elle poursuit sa recherche et créée Pinocchio (live) #2 qu’elle présente au Festival d’Avignon 2021, avant une grande tournée.

Sa lecture de Pinocchio nous convie à une expérience des plus troublantes car elle inverse la logique de Collodi. Alice Laloy part du vivant et nous mène vers le corps inanimé, la marionnette, en différentes étapes, sans texte, au rythme de percussions. Dix enfants pleins de vie ouvrent le spectacle et comme tous les enfants du monde, chahutent. Après leur sortie de plateau dix jeunes manipulateurs vêtus de blouses grises transforment la scène en atelier et installent leurs établis. Ils seront chargés de créer chacun sa marionnette, partant du vivant, de l’enfant, au pantin. On pénètre alors dans un univers fantasmatique au retour des enfants, vêtus d’une sorte de short, pieds et bras nus et qui s’étendent chacun sur un établi, s’abandonnant totalement aux mains des officiants.

Le rituel commence, avec délicatesse et précision, comme dans une salle d’opération, préparant leur métamorphose. Ils vont être maquillés, visage, jambes et bras recouverts d’une peinture blanche, bouches cerise, yeux irréels, décalés selon la méthode qu’avait appliquée Cocteau dans Le Testament d’Orphée – peindre des yeux sur des paupières fermées – ou comme L’œil cacodylate, tableau de Francis Picabia en sa période dadaïste. Bientôt ces yeux vont nous regarder fixement. Les enfants par ailleurs auront, à chaque articulation, comme des fils conducteurs, à l’égal d’une marionnette à fils.

Quand le cérémonial s’achève, les enfants devenus marionnettes tentent la marche et la danse. Ils s’asseyent sur des chaises installées en rond, à la recherche de l’immobilité. Comme l’oiseau quittant le nid, ils ont des ratés dans leur nouveau corps sculpté, glissent de leur chaise, chutent et se relèvent, cherchent à habiter l’espace, à prendre leur souffle. Dans leurs tentatives vaines, pleine de trouble et d’émotion pour le public, ils sont dans un total abandon. Au final, chacun retrouve son créateur qui lui redonne vie, qui le démaquille et le renvoie à son statut d’enfant.

Il n’y a aucun frisson dans la transformation de l’enfant en pantin, seule la confiance et la précision dans la posture et le geste de chacun, une émotion chez le spectateur, aucune insurrection. Les enfants choisis dans le cadre de cette expérience et spectacle sont remarquables dans leur maîtrise gestuelle, on est au théâtre, ils sont des interprètes, tous enfants-danseurs du Centre Chorégraphique de Strasbourg, et les manipulateurs sont étudiants de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Colmar. On ne peut que chaleureusement les féliciter, tous, et dire Chapeau bas !

Alice Laloy a construit avec eux comme un objet magique, complexe, où la vie vient et la vie s’en va en un objet théâtral finement élaboré, à la frontière de l’humain et de l’objet-marionnette. Ella a écrit plusieurs spectacles pour jeune public où la musique est très présente et vient de créer Death breath Orchestra avec musiciens et pantins. Elle poursuit ses expériences poétiques vers les sommets de l’extrême.

Brigitte Rémer, le 2 avril 2022

Avec les enfants-danseurs du Centre Chorégraphique de Strasbourg Pierre Battaglia, Stefania Gkolapi, Martha Havlicek, Romane Lacroix, Maxime Levytskyy, Rose Maillot, Nilsu Ozgun, Anaïs Rey-Tregan, Edgar Ruiz Suri, Sarah Steffanus, Nayla Sayde – et avec les étudiants comédiens du Cycle d’Orientation Professionnelle du Conservatoire à rayonnement départemental de Colmar Alice Amalbert, Jeanne Bouscarle, Quentin Brucker, Esther Gillet, Leon Leckler, Mathilde Louazel, Antonio Maïka, Louise Miran, Valentina Papic, Nina Roth, Raphaël Willems, accompagnés par Norah Durieux et Elliott Sauvion Laloy.

Scénographie Jane Joyet – costumes Oria Steenkiste, Cathy Launois, Maya-Lune Thieblemont – accessoires Benjamin Hautin, Maya-Lune Thieblemont, Antonin Bouvret – conseil et regard contorsion Lise Pauton et Lucille Chalopin – régie générale et lumière Julienne Rochereau – régie son Lucas Chasseré – construction des établis/Atelier de construction du TNP de Villeurbanne – confection des costumes/étudiants du Lycée Paul Poiret de Paris, classe de Véronique Coquard et Maryse Alexandre – coréalisation Malakoff scène nationale, Théâtre de Châtillon, Théâtre Jean Arp/Clamart, Les Gémeaux/scène nationale de Sceaux.

Vu au Théâtre 71 Malakoff, scène nationale (vendredi 18 mars, samedi 19 mars 2022) – Prochaines représentations, du 12 au 16 avril, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne. Site : www.tnp-villeurbanne.com – tél. : 04 78 03 30 00.